La confusion entre danse orientale dite "Raks-Sharki" et la danse du populaire du "Bled"
Je ne compte plus le nombre de jeunes filles et femmes maghrébines qui viennent à mes cours, convaincues de savoir danser et souhaitant intégrer directement les cours des confirmées. Je leur explique alors que ce n'est pas la même danse et qu'elles ne vont pas suivre.
Soit elles sourient, impatientes de me démontrer le contraire, voire me donner une leçon, soit elles partent, irritées, vexées. Après maintes expériences du genre, j'ai fini par ne plus rien dire et les laisser venir à moi. C'est alors la désillusion totale pour elles, se soldant systématiquement par une désertion. Elles sortent du cours, amères, peut-être humiliées. Elles ne comprennent tout simplement pas, persuadées qu'elles savent danser, parce que du pays.
Il est temps aujourd'hui de faire le tri dans cet amalgame, amalgame entre la danse que l'on pratique chez soi, c'est-à-dire la danse populaire et celle que l'on apprend.
Il existe plusieurs courants de danse orientale, je vais en différencier trois : le baladi, la danse folklorique et la danse orientale dite Raks Sharki. Ces trois danses sont des monuments, il est impossible de les résumer ici. Je dirais de façon succincte qu'elles défendent chacune un art et une histoire, qu'elles sont codées, difficiles et qu'elles nécessitent un apprentissage rigoureux.
La danse populaire, quant à elle, est une danse culturelle. Elle se transmet de mère en fille, ou pas, elle se vit de l'intérieur, avec son ressenti, sur une musique populaire, comme par exemple, le raï.
Le même terreau, les mêmes racines... d'où l'amalgame
Mais en dehors de leurs origines communes, d'autres sources (empoisonnées !!) viennent alimenter cette confusion. Citons pour commencer la centralisation des mouvements au niveau des hanches, des seins, du buste qu'ont, comme point commun, la danse populaire et le Raks Shaki. Mais, ce ne sont absolument pas les mêmes mouvements. La danse populaire est une danse que je qualifierais presque ''d'instinctive'' alors que le Raks Sharki demande une véritable formation, une technique redoutable et précise, une maîtrise absolue de son corps, une recherche artistique pointue, du maintien et l'exigence de la grâce. La danse populaire que je ne décrie absolument pas, vous l'aurez compris, est une danse que l'on pratique entre femmes, lors de mariages, fêtes, chez soi, en écoutant la radio ou des CD, exactement de la même façon que les occidentales se réunissent en boîte de nuit ou anniversaires pour danser. C'est le même rapport, et même si certaines de ces occidentales se distinguent par leur excellence en la matière, elles ne vont pas pour autant se présenter à un casting de Madonna ? Pourquoi ? Parce qu'elles font la différence entre la danse acquise pendant des années de travail auprès d'un professeur et celle qu'elles aiment à pratiquer pour le plaisir.
Pourquoi les femmes maghrébines font-elles l'amalgame ?
Citons pour continuer : l'ignorance et la disgrâce.
Le Raks Sharki est une danse actuellement galvaudée et, bien qu'académique dans la technique, plus reconnue par son berceau d'origine, l'Egypte. Plus reconnue, je dis bien, car elle a eu ses heures de gloire et ses lettres de noblesse. Elle n'a donc plus aujourd'hui de statut.
Elle est désormais diluée dans la culture, parfois prisée, parfois méprisée, mais en tout cas perdue en tant que joyau. Peu connaissent l'Histoire du Raks Sharki qui est l'évolution du baladi, danse ancestrale, exprimée par les célèbres almées, femmes savantes, poétesses, chanteuses et danseuses. Peu savent que la danse a été un des piliers de la culture arabe, que ses représentantes étaient respectées, louées et adulées. En plus de n'avoir pu être officiellement gravée dans le marbre à cause du tabou lié au corps, d'où aujourd'hui l'ignorance de beaucoup, la danse orientale est, en plus, malmenée par des exhibitions ostentatoires et provocantes, d'où la disgrâce.
Le corps féminin
Les occidentales et occidentaux y vont aussi de leurs phrases assassines. Pour celles qui viennent assister à un cours, c'est la sempiternelle ''Hé ben, dites-donc, ça n'a pas l'air évident, ça semble bien difficile'', pour celles qui essaient carrément ''C'est physique, c'est dur, j'aurais jamais cru'', pour ceux qui ont dans leur entourage des amies qui prennent des cours ''Hé, tu nous fais une démonstration de strip-tease ?'' sans oublier les ''Tu te remues bien''. Se permet-on de penser de la danse classique, contemporaine ou autre qu'elle est immédiatement accessible à tout un chacun en un cours ? Qu'on se ''remue'' bien ?
Pourquoi ce déni, ce discrédit ?
Hé bien ma foi, la boucle est bouclée. Un fois de plus, parce que le Raks Sharki n'est pas légitimé par un diplôme, et donc pas reconnu officiellement, et aussi pour ses mouvements centralisés, comme je l'ai déjà dit, au niveau des hanches, des seins, du buste. Attributs dont sont toutes dotées les femmes. De ce fait, toutes se croient investies du même pouvoir. Toutes pensent pouvoir les ''bouger'', ''les remuer'', coups de reins, de fesses, de seins, tout y est, sans harmonie, sans pudeur, sans grâce. Parce que cette danse est féminine, parce que précisément elle trouve son essence et épanouissement dans et par le corps féminin, certaines femmes imaginent aisément que c'est le propre de la femme que de se trémousser et qu'il n'est nul besoin de cours pour ce faire. C'est vrai. Sauf que se trémousser n'a jamais été de la danse orientale, et la danse orientale n'a jamais été de se trémousser, même si effectivement, l'un et l'autre puisent leur fondement dans le corps féminin. Pour conclure, la danse orientale, aux yeux de beaucoup, n'est pas considérée comme un art, tout juste une continuité de la femme et de la danse populaire. Celles qui apprennent cette discipline sont confrontées à sa réalité. Elles savent sa difficulté et l'opiniâtreté qu'elle demande, comme toutes les danses, pour acquérir la maîtrise de leur corps.