La danse orientale, Raks Sharki, suscite et la fascination et le mépris. Étrange opposition que celle où l'on admire un objet tout en le rejetant. Et pourtant !
Pourquoi la fascination ?
Parce que gracieuse, majestueuse, magnifique, terriblement féminine, et impressionnante par sa gestuelle qui offre à la danseuse une totale possession de son corps, une totale maîtrise des parties habituellement soudées, bloquées, corsetées. Les hanches, le buste, les seins, le bassin, bougent, ondulent, ondoient, tremblent dans des mouvements d'une redoutable technique, et qui pourtant, paraissent si naturels. La fascination vient de ce subtil mariage entre la beauté qui se dégage de cette danse et la découverte que tout le corps peut vivre. Ces parties qui, enfin se délivrent, sont intrinsèques à la femme, ils sont sublimés et de ce fait, la subliment, d'où l'envoûtement que cette danse exerce sur le public tant féminin que masculin.
Pourquoi le mépris ?
Il y a beaucoup à dire sur le mépris que cette danse inspire. On ne peut pas la dissocier de son histoire où elle fut, après avoir été adulée, prisée, et admirée, finalement vouée aux gémonies, stigmatisée, mise au pilori. Il faut se rapprocher de l'Egypte au XIXème siècle quand Napoléon vint avec ses troupes et qu'une catégorie de danseuses a commencé à se prostituer. A partir de ce jour, la danseuse orientale et la prostituée ont été, dans la mentalité arabe et maghébine, inséparables. Hélas, comme ça ne suffisait pas, aujourd'hui, la responsabilité de cette opprobre incombe très très largement à l'attitude et aux costumes de beaucoup de danseuses. En effet, certaines danseuses exhibent des tenues d'une telle indécence qu'il est impossible de ne pas avoir honte, et en tant que femme et en tant qu'enseignante de cette danse.
Pourquoi la danseuse orientale doit-elle se dénuder pour danser ?
Est-il utile, nécessaire de porter des robes échancrées jusqu'en haut des cuisses, jusqu'à la naissance des fesses, avec un port de seins si serré qu'ils semblent déborder, des ouvertures laissant découvrir parci, par-là impudiquement des parcelles de chairs.
Lors d'un débat sur la dernière trouvaille des tenues, à savoir, jupe courte, une apprentie (une élève) a trouvé tout à fait normal de montrer ses jambes quand elles sont jolies. Ah bon ?! Les flamencas ont sûrement, elles aussi de jolies jambes, tout comme les danseuses classiques ou autre, et pourtant, elles ne montrent pas leurs jambes pour autant.
Si ces danseuses veulent dévoiler leur chair, si ces danseuses veulent séduire et non faire rêver, si ces danseuses veulent exciter et non charmer, si elles veulent étaler, montrer, donner en pâture, seins, hanches, fesses, sous prétexte qu'ils sont fermes, rebondies, jolies, alors qu'elles choisissent une autre discipline que la danse orientale qui souffre déjà d'un passé non digéré. Qu'elles laissent donc la danse orientale à son art pur et qu'elles s'exercent ailleurs. Qu'elles s'orientent, par exemple, vers le strip-tease ou vers la pole dance. Ce n'est pas péjoratif, c'est aussi, parfois, un art mais ces deux disciplines expriment clairement leur fondement. Sans compter que toutes les femmes n'ont pas forcément un corps ''de rêve'', loin s'en faut, et pourtant, étonnamment, elles livrent aux regards, et quel que soit leur âge, sans complexe, bourrelets, vergetures, cellulite... C'est extraordinaire de savoir qu'enfin, toute femme peut s'essayer à cette danse, qu'elle est faite précisément pour tous les âges, tous les corps et , qu'il n'est plus nécessaire d'être longiligne et de commencer dès le plus jeune âge pour accéder à sa maîtrise, mais cette danse requiert respect et dignité. Que toute sorte de femme puissent enfin danser, c'est mon cheval de bataille, mais il n'a jamais été question de porter des tenues affriolantes, qui les désservent tout en les ridiculisant.
Pourquoi dévoyer la danse orientale et la diriger coûte que coûte vers une danse sexuelle ?
L'énorme souci est que la danse orientale a perdu toute sa crédibilité à cause de ces corps à moitié nus, exposés sur scène. Non contentes de s'attifer outrageusement, elles dansent avec vulgarité, tant dans leur gestuelle grossière, dénué de subtilités telles que de ''gros coup de seins'', ''gros coups de reins'' que dans l'expression sur leur visage, bouche offerte, yeux scrutateurs... Le public ne voit plus l'énorme discipline, l'énorme travail et rigueur, comme dans toutes les danses. Non, le public est aux prises avec, par exemple, le spectacle affligeant d'un balconnet rebondi de chairs frémissant aux moindres mouvements ou encore, aux prises avec une chute de reins exagérément cambrés ne cachant rien de la naissance des fesses. Tant que les danseuses monteront sur scène avec des tenues aguichantes, tant qu'elles emploieront le mot ''sexy'' pour désigner leurs costumes, tant que lesdits costumes de danse seront présentés sur des modèles alanguis sur des canapés ou debout, se tenant à une barre de pole dance la tête renversée (hé oui) , nous n'arriverons pas à élever le débat, nous n'arriverons pas à sortir de cette ornière. Comment peut-on convaincre de notre art quand le corps est tellement mis en exergue ? C'est un coup très dur pour la danse orientale qui peine déjà à se débarrasser de ses chaines qui la relie toujours et encore à son passé.
Mon point de vue
Je crois que l'amalgame vient de ces parties du corps que l'on s'autorise à déverrouiller ; les hanches, le buste, le bassin... qui précisément sont l'apanage des femmes. C'est pour cette raison qu'il y a confusion, parce dans les esprits, là où il y a féminité, il y a forcément sexualité. Citons la Grande Dina, la dernière référence égyptienne, voici un extrait de son livre : "Retenez bien mon nom. Je suis Dina. Je suis la dernière danseuse d'Egypte''* "Ibn el raqua'sa ! L'insulte claque dans la rue (...) "Ibn el raqua'sa", en arabe dialectal égyptien, cela veut dire ''fils de danseuse'' (...) Ça n'a l'air de rien, mais chez nous cette expression est chargée de mépris"**
*Dina – Ma liberté de danser – Page 19 – Michel Lafon.
**Dina – Ma liberté de danser – Page 28 – Michel Lafon.
Tout son livre retrace son combat pour danser librement, sa douleur face au rejet, à l'exclusion, à la stigmatisation, une grande souffrance émane de ses propos. On est touché par son témoignage poignant. Emue et bouleversée, j'ai voulu voir cette belle danseuse, la dernière d'Egypte, sur le net. Et là, ce fut la stupéfaction, la désillusion. Oui, elle est belle, oui, elle maîtrise merveilleusement son art, mais j'ai compris, j'ai compris pourquoi tant de mépris entourait cette femme. Parfois en jupe très très courte (!!??) et bien sûr petit top, robe fendue sur une jambe jusqu'en haut de la cuisse, les deux seins étroitement pressés l'un contre l'autre... Qui a envie de voir sur scène sa fille ou sa femme ainsi vêtue ou dévêtue, devrais-je dire. Qui ?
Je lui en veux terriblement car je suis intimement convaincue qu'elle aurait pu, par sa notoriété, réhabiliter la danse, lui redonner ses lettres de noblesse, si seulement elle avait opté pour des tenues de danseuses et non d'exhibitionnistes, pour des postures décentes et non sulfureuses (qui est d'ailleurs son attribut, elle est appelée ''la sulfureuse Dina''). Et je crois qu'elle participe très activement à l'anathème jeté sur cet art magnifique qui s'enfonce dans la boue, inexorablement. Je ne peux m'empêcher d'imaginer cette danse ressuscitée, redorée par le biais de Dina. Je l'imagine danser dans des tenues, certes colorées, certes collant au corps, mais longues et recouvrant le corps, je l'imagine ondulant, tremblant mais toujours avec une distance, toujours avec dignité et hauteur. Et j'imagine l'Egypte, le Maghreb, les pays arabes lentement, doucement, se réapproprier cette danse qui fut un symbole de la grandeur de l'Egypte. J'imagine à nouveau les danseuses repeupler la rue Mohamed Ali, les sourires des hommes, la liberté des femmes, des danseuses, danseuses détentrices d'une science immémoriale, investies d'une mission de gardienne et de transmission et non des usurpatrices étalant chair et vulgarité. Dina aurait pu être celle qui aurait exhumé et hissé à nouveau le Raks Sharki au sommet de sa gloire. Elle est la dernière danseuse égyptienne, comme elle aime à dire, mais elle aurait pu être la première danseuse égyptienne du XXIème siècle, marchant dans les pas des almées du XIXème. Oui, j'en veux à Dina, car, de mon point de vue, elle a placé la dernière pierre sur l'édifice de la réputation infamante de cette danse, elle a parachevé sa disgrâce, elle est effectivement la dernière à avoir terminé l'oeuvre de destruction. Face à ce désastre, à cette impudeur exubérante qui passe pour une tradition, nous, enseignantes de cet art, nous serons le dernier bastion de cette danse qui fut auréolée, adulée, admirée et force m'est de penser qu'il y aura désormais deux courants de danse : la danse en tant qu'attraction sexuelle et la danse en tant que survivance d'un art ancestral.